La Principauté de Salm

Une abbaye

La tradition raconte que vers 640 un certain Gondelbert (moine ou laïc ?) s’installe sur le coteau entre deux ruisseaux et commence à défricher le secteur et bâtit un ermitage qui va vite devenir l’embryon de la ville de Senones.

661 : le roi Childéric donne un territoire dont ces bénédictins deviennent les seigneurs. Une partie sera donnée pour doter l’abbaye de Moyenmoutier.

 

 

Cette abbaye royale à l’origine, appartenant à la manse épiscopale de l’évêché de Metz va vite devenir indépendante. Les religieux sont les seigneurs du territoire : ils donnent la justice, lèvent les impôts et vont gérer leur territoire comme une entreprise.

Ils vont vite devenir riches et puissants et susciter des convoitises. Un voué va être nommé pour les protéger. C’est vers le XIe siècle que la riche abbaye se construit plus près du Rabodeau, à l’endroit actuel sous l’impulsion d’un abbé Antoine originaire de Pavie. Cet architecte va construire une abbaye romane.

Une famille

C’est à cette époque qu’apparaît ici la famille de Salm

La maison de Salm est une très ancienne famille déjà représentée par des membres influents auprès des successeurs de Charlemagne. Sigfrid est le premier a porté le titre de comte de Luxembourg. Ensuite par conquêtes ou alliances cette famille Luxembourg-Salm règne de Metz à Anvers, de Reims à Cologne sur des territoires morcelés. Hermann Ier fut même élu anti-roi de Germanie lors de la Querelle des Investitures en 1081.

Son fils Hermann II comte de Salm et comte de Luxembourg épouse la seigneur voisine Agnès de Montbéliard-Mousson-Bar, comtesse de Langenstein, seigneur de Pierre Percée. Hermann II connait la richesse de l’abbaye voisine. Et il les convoite. Il en devient le voué et il va tout faire, et ses successeurs aussi, pour que le territoire de l’avouerie finisse par se confondre avec la seigneurie de l’avoué : ici un comté. Le noyau de ce comté de Salm en Vosges est constitué par le patrimoine monastique initial de Senones, le ban donné par le roi Childéric à l’abbaye, et les terres avoisinant le château de Pierre-Percée. A cela vont s’ajouter par différentes fondations ou mariages des territoires vers le nord : dans le Saulnois, l’abbaye de Haute Seille, Morhange vers Metz, Blamont et Deneuvre puis Fénétrange.

Les branches de Salm Ardennes et Salm Vosges vont se séparer définitivement quand Henri III va construire le château de Salm sur la commune de la Broque sur un terrain appartenant à l’Abbaye de Senones et y installer son autorité.

L’emprise des comtes va s’affirmer : du fer ayant été trouvé près de Grandfontaine sur les pentes du Donon, Henri IV va construire des mines et des forges sans l’autorisation de l’Abbaye, propriétaire du sol. Sommé de les détruire par l’évêque de Metz qui est son suzerain mais aussi possesseur de la manse de l’abbaye, il va les reconstruire quelques années plus tard. Un accord avec l’abbé Baudoin fut signé en 1261 : investissements et revenus sont partagés en deux.

Quand la lignée comtale se divisera en 2, le partage se fera en 3 ! (en 1513) !

En effet en 1431 le comte Jean V décède au cours de la bataille de Bulgnéville. L’avouerie s’exerce alors en commun par ses deux fils Simon et Jean VI.

-Jean VI continue la lignée « francophone » la première dynastie des comtes de Salm.

-Simon a deux enfants : Jacques comte de Salm gouverneur d’Epinal, sans postérité et dont ses droits sur le comté échurent à sa sœur Jeanne ou Jeannette qui a épousé

Jean V Wild und Rheingraf zu Dhaun. C’est le début de la deuxième dynastie de Salm la lignée « germanophone »

Au nord, un autre bâtiment agricole

Un autre bâtiment, construit pendant la période industrielle, abrite aujourd’hui la salle des fêtes de Senones.

Un comté de Salm

En 1571 les deux voués de l’abbaye font un coup d’état :

– Jean IX, de la dynastie lorraine, est catholique, gouverneur de Nancy, maréchal des armées du duc Charles III, il habite à Nancy un hôtel à la place de la cour d’Appel actuelle

– le Rhingrave Frédéric, catholique, comte de Salm de la dynastie germanique, mercenaire, colonel au service du roi de France et du duc de Lorraine. Lointains cousins, ils sont également beaux-frères : Frédéric a épousé Françoise sœur de Jean IX.

 

Ils rassemblent tous les chefs de famille du val de Senones et du ban de Salm et se font reconnaitre comme les seuls seigneurs souverains et régaliens en leur faisant prêter un serment d’obéissance. Ils ont fait de même à Badonviller pour les autres possessions.

Malgré les protestations aux différents suzerains : évêque de Metz, duc de Lorraine, empereur Maximilien, intervention du pape, différentes transactions auront lieu mais ne rendront jamais à l’abbaye tous ses droits : les revenus industriels et forestiers, les impositions sont partagées !

En 1598 les deux seigneurs signèrent le partage de la Terre de Salm : ce partage qui porte sur les maisons, et sur les terres est un partage de juridiction qui instaure un siècle et demi d’indivision foncière entre les deux branches.

L’abbaye et ses fermes à Ménil, la Forain, Saint Siméon et autres biens et le village de Chatas (16 maisons) restent sous la souveraineté des 2 seigneurs.

 

A la mort de Jean IX, en 1600, sa nièce Christine ou Chrestienne de Salm devient son héritière.

Comme elle avait épousé en 1597 François de Vaudémont, fils du duc de Lorraine Charles III, qui est devenu le duc François II, sa part entre dans le duché de Lorraine et garde l’appellation Comté de Salm.

En parallèle, à la mort de Frédéric (1608) son fils le rhingrave Philippe-Othon est aussi comte de Salm. Protestant, il se convertit au catholicisme et sert l’Empereur du Saint Empire Germanique qui l’éleve au rang de prince d’Empire. Son lot prend l’appellation Principauté de Salm.

A partir de ce moment les terres de Salm sont en indivision entre le duc de Lorraine et le prince de Salm.

Badonviller en est la capitale administrative gérée pour le prince par un intendant, un bailli, un procureur fiscal assistés d’un greffier et de 6 agents (police et forestiers). Les princes de Salm habitent surtout en Allemagne (région de Mayence) et en Lorraine le château de Neuviller sur Moselle près de Bayon.

Pendant la guerre de Trente Ans et l’occupation française qui suivi et ruina le territoire, les ducs et princes successifs se mettent au service du Saint Empire Germanique, remplirent de hautes fonctions et se couvrirent de gloire avant de revenir sur leurs terres.

Une principauté de Salm-Salm

Mais cette situation va encore se compliquer au début du XVIIIème siècle. Le duc de Lorraine et comte de Salm François III veut se marier avec Marie Thérèse d’Autriche future impératrice. La France et son roi Louis XV ne sont pas de même avis : le roi de France ne veut pas d’une Lorraine sous influence germanique alors que depuis la fin de la guerre de Trente ans, il possède Metz, Toul, et Verdun et un bon tiers de l’Alsace actuelle (les 2/3 restants étant formés d’une mosaïque de petits états ou de villes libres !) Le traité de Vienne de 1737, et les différentes conventions qui en découlent, entérinent l’échange du duché de Lorraine avec celui de Toscane et cède le duché de Lorraine en viager à Stanislas Leszczynski roi détrôné de Pologne et surtout beau-père de Louis XV ! A la mort de Stanislas, le duché de Lorraine reviendra à la France.

Le prince de Salm contemporain de ces événements européens s’appelle Louis Othon. Sa fille héritière Dorothée de Salm épouse un de ses lointains cousins Nicolas Léopold de Salm ; ils sont tous les deux descendants du Rhingrave Frédéric qui s’était marié 4 fois !

Nicolas Léopold est reconnu prince de Salm Salm par décret de l’empereur Charles en 1740. Nicolas-Léopold et Dorothée fondent ainsi la troisième dynastie celle des princes de Salm- Salm.

Nicolas Léopold va donc négocier pour sortir de l’indivision (le roi de France essaiera d’acheter la part princière) et signe le 21 décembre 1751 le traité de Lunéville qui :

– créé la principauté de Salm- Salm, petit état indépendant vassal du Saint Empire Romain Germanique mais francophone et dépendant économiquement de la France car enclavé, sur le territoire d’origine de l’abbaye de Senones.

– et stipule la libre circulation des gens et des échanges (grains, denrées…) entre la France et la principauté.

 

La Maison de Salm, si elle perd ses possessions lorraines comme la baronnie de Fénétrange, a réussi à garder un patrimoine important : les mines et les forges de Framont Grandfontaine et les forêts qui les approvisionnent en bois. Badonviller étant dorénavant en Lorraine, Senones devient capitale.

Trois princes vont se succéder

Nicolas Léopold

1701 Nancy-1770 Hoogstraten (Belgique) : Colonel, propriétaire d’un régiment, feld-maréchal des armées impériales, chevalier de la toison d’or, gouverneur d’Anvers. C’est un guerrier (campagne de Sicile, guerre de succession de Pologne, guerre turque, guerre de succession d’Autriche), vient rarement à Senones, vit à Hoogstraten, a 18 enfants avec la princesse Dorothée puis se remarie avec sa sœur Christine. C’est le « prince père ».

Louis Charles Othon

1721 Hoogstraten – 29 -7- 1778 Senones : Il est abbé commendataire de Bohéries (Aisne), de Beaupré (Moncel les Lunéville), et de Saint Quentin sur l’ile (Noyon). Bien qu’étant l’aîné son père l’avait destiné aux ordres, réservant la Principauté à son autre fils Maximilien, commandant de la ville et forteresse de Luxembourg qui deviendra à son tour général et gouverneur d’Anvers. Louis réclama ses droits et le tribunal de Wetzlar trancha en sa faveur. Leur « accord entre frères » fut signé à Senones en 1771. Louis avait mené au nom de son père les négociations qui aboutirent à la création de la Principauté. Grand gestionnaire, il affirme le gouvernement indépendant de sa principauté et, grand amateur d’art, il remplit de ses collections le deuxième château qu’il fait construire. Sans postérité

Constantin Alexandre

1762 Hoogstraten 1828 Karlsruhe

C’est le fils de Maximilien. Agé de 16 ans il doit attendre sa majorité pour régner. La Sérénissime Tutelle le fait à sa place : sa mère et son oncle Guillaume Florentin évêque de Tournai (dans les faits par le prince Charles habitant Senones) sont les régents. Prenant le prétexte d‘éponger les dettes du prince précédent mais surtout pour enrichir leurs apanages, Guillaume Florentin réduit le train de vie, simplifie les rouages de l’administration et restreint le nombre des officiers de Principauté.

Constantin Alexandre épouse en premier la princesse Victoire-Félicité de Loewenstein Wertheim qui lui donna un prince héritier Guillaume- Florentin aïeul du prince actuel.

Despote éclairé très instruit et cultivé, il essaie d’améliorer le sort de ses sujets par diverses mesures économiques et sociales mais contrairement à ses prédécesseurs, il est entouré d’administrateurs germanophones dans une principauté francophone aux coutumes lorraines.









A la révolution française

A la Révolution française les Principautois envoient aussi à leur prince leur cahier de doléances où ils réclament plus de langue française, des municipalités, moins de rigueur dans la vie sociale (cabaret…) et dans la vie économique (choix du moulin…)

Le prince les leur accorde mais de loin…en effet les membres de la famille de Salm- Salm s’éloignent tour à tour à l’étranger.

Vassale de l’Empire germanique, la Principauté est dépendante économiquement de la France qui l’entoure. L’Assemblée Constituante reconnait dans un premier temps le traité de 1751. Mais en septembre 1792 elle réglemente la circulation des grains. C’est la première difficulté des commerçants Senonais pour s’approvisionner au marché de Raon l’Etape : l’intervention du ministre de l’intérieur Roland leur accorde une permission temporaire.

Mais le décret du 8 décembre 1792 interdit de commercer avec l’étranger y compris enclavé. Des délégués sont envoyés à Paris pour plaider la cause des Principautois. Bien que résidant à Anholt le Prince Constantin ne se désintéresse pas du sort de ses sujets, il recommande à la délégation de se limiter à la seule question de l’approvisionnement en grains, au respect du traité de 1751. Les démarches sont vaines, le 24 février 1793 les délégués pragmatiques demandent la réunion de la Principauté à la France.

 

Le 2 mars 1793 la principauté de Salm Salm est réunie à la France et provisoirement au département des Vosges.

La principauté de Salm Salm avait vécu un peu plus que 40 ans, nait alors le « ci-devant Pays de Salm »

 

Le prince de Salm- Salm fut indemnisé de la perte de son domaine par le traité de Lunéville en 1801.

La famille de Salm-Salm habite toujours dans son château à Anholt près de Ysel en Allemagne.

 

Pour en savoir plus : archives des Vosges série 3 C , archives du comté et de la Principauté de Salm.